Catherine Brousse

2017 : materia

Matière… C’était, un siècle avant notre ère, le bois de construction, bois dont on faisait les maisons et les ponts, les outils et les machines de guerre... de là à penser, par élargissement des perspectives, que la matière pouvait désigner, l’élément et le matériau, l’élément et la substance, en somme tout ce dont une chose est faite … Et d’une chose à l’autre, qu’est-ce qu’une « chose », un objet ? Où s’arrête la matière ? De quoi est faite une fleur ? Un papillon ? Un homme ? La vie ?
Et d’une chose à l’autre, on en arrive au corps, et au sujet… et à ce qui pourrait bien le dépasser…
Front à front avec la matière, on cherche – forcément à tâtons - s’il y aurait autre chose que la matière. L’immatériel !

Qu’est-ce à dire?
Ce qui ne se manifesterait pas dans la matière, ni dans le solide ni dans le liquide, ni même dans l’éthéré ou l’ionisé ?
Ce à quoi on ne se heurterait pas, à quoi on ne serait pas –constamment – confrontés ?
Ce qui nous sortirait de nous, d’ici ?
Ce qui n’aurait ni lieu ni poids ni forme… zéro densité ?
L’impensé ? l’impensable ?

La question posée au faiseur d’images, au faiseur d’histoires, est la suivante : “Est-ce comme cela dans la réalité ? Est-ce bien cela en réalité ?
Et bien sûr, celui-ci en arrive à questionner cette réalité : qu’es-tu en vrai ? Il en arrive, à travers ses images, ses histoires, à l’interroger, ou à tout au moins à la secouer, comme on fait d’une boite fermée dont on tente de deviner le contenu. Ou du moins à essayer de la séparer de l’évidence, toute cette matière en nous et autour de nous. Résurgence de vieilles interrogations judéo-chrétiennes sur l’âme ou intuitions avant-gardistes, c’est-à-dire science-fictionnelles, des à-côtés du réel ?

Cette série (re)présente d’infimes détails des tableaux de Francis Besson. Détails interprétés.
Comme Alice en son miroir, l'œil entre dans le tableau, part en aventure et s'y perd à loisir. L'œil se frotte aux reliefs de la pâte, crayon, gouache, huile, pastel, sable, qui couvrent le terrain, toile, papier, carton. Il franchit les couleurs comme des frontières au-delà desquelles se parlent d'autres langues, se tissent d'autres récits.
D'une œuvre naissent mille paysages, mille voyages, mille et une nuits. D'une forme naissent mille formes.

Menant une excessive vie faciale, on est aussi dans une perpétuelle fièvre de visages.
Dès que je prends un crayon, un pinceau, il m’en vient sur le papier l’un après l’autre dix, quinze, vingt.
Et sauvages pour la plupart.
Est-ce moi tous ces visages ? Sont-ce d’autres ? De quels fonds venus ?

Henri Michaux