– Louise Erdrich, The last Report on the Miracle at Little Horse, 2002
– Christian Bobin, L'inespérée
– Sofia de Mello Bryner
– Pierre Reverdy (1889-1960)
(…) et donc, je lisais, perdue, assise chaque jour sous un arbre près de ma tente, tandis qu'au-dessus, les fauvettes se balançaient dans les feuilles et qu'à mes pieds des vers poilus se traînaient sur quelques centimètres de poussières et de brindilles ; et je lisais chaque nuit à la lumière d'une bougie, tandis que des chouettes rayées lançaient leur appel dans la forêt et que de pâles papillons de nuit s'amassaient autour de ma tête, dans la clairière où ma lumière formait un cercle.
Les papillons ne cessaient de voler sur la bougie. Ils sifflaient, reculaient, se perdaient sens dessus dessous dans l'ombre de mes casseroles. Ou ils se brûlaient les ailes, tombaient et leurs ailes incandescentes, comme fondues, se collaient alors au premier objet touché – une poêle, un couvercle, une cuillère – et, ainsi pris, les papillons ne pouvaient qu'osciller en petits cercles sans pouvoir se libérer. Ceux-là, je pouvais relâcher d'un rapide revers avec une brindille ; le matin, je trouvais mes ustensiles de cuisine dorés d'éclats d'ailes de papillons, des triangles de poussière brillantes posés ici et là sur l'aluminium.
Et donc, je lisais, eau mise à bouillir et bougies remplacées, et je lisais encore.
Une nuit, un papillon vola droit sur la bougie, prit feu et resta là. Je devais regarder la bougie ou une ombre sur ma page me fit lever les yeux, en tous les cas, je vis tout. Une femelle dorée, grande, cinq centimètre d'envergure, atterrit sur la flamme, abaissa son abdomen dans la cire fondue, s'y prit, s'enflamma, s'embrasa et se consuma en une seconde.
Ses ailes prirent feu comme du papier, élargissant le cercle de lumière dans la clairière, faisant surgir de l'ombre les manches bleues de mon pull, les feuilles vertes des impatientes du Cap, le rouge déchiré d'un tronc de pin.