Catherine Brousse

Art-déco-c
Perhaps we are no more than spores on the breath of God, perhaps our life is just one exhalation. One breath. If God pauses just a moment to ruminate before taking in a new breath, we see. In that calm cessation, we see. All I've ever wanted to do is see.

Louise Erdrich, The last Report on the Miracle at Little Horse, 2002

We are like moths

Le professionnalisme est une maladie qui vient aux gens par leur métier,
par la maîtrise qu’ils en ont,
qui les asservit.

Christian Bobin, L'inespérée


I many times thought that Peace had come
When Peace was far away -


739 – Emily Dickinson (1830-1886)

Le miracle de l'instant
Puissè-je n'avoir ni attache ni limite
ô vie aux mille visages débordants
pour pouvoir répondre à tes invites
suspendue au miracle des instants.

Sofia de Mello Bryner


"J'ai tellement besoin de temps pour ne rien faire,
qu'il ne m'en reste plus assez pour travailler."

Pierre Reverdy (1889-1960)

Carnet de toiles

(…) et donc, je lisais, perdue, assise chaque jour sous un arbre près de ma tente, tandis qu'au-dessus, les fauvettes se balançaient dans les feuilles et qu'à mes pieds des vers poilus se traînaient sur quelques centimètres de poussières et de brindilles ; et je lisais chaque nuit à la lumière d'une bougie, tandis que des chouettes rayées lançaient leur appel dans la forêt et que de pâles papillons de nuit s'amassaient autour de ma tête, dans la clairière où ma lumière formait un cercle.

Les papillons ne cessaient de voler sur la bougie. Ils sifflaient, reculaient, se perdaient sens dessus dessous dans l'ombre de mes casseroles. Ou ils se brûlaient les ailes, tombaient et leurs ailes incandescentes, comme fondues, se collaient alors au premier objet touché – une poêle, un couvercle, une cuillère – et, ainsi pris, les papillons ne pouvaient qu'osciller en petits cercles sans pouvoir se libérer. Ceux-là, je pouvais relâcher d'un rapide revers avec une brindille ; le matin, je trouvais mes ustensiles de cuisine dorés d'éclats d'ailes de papillons, des triangles de poussière brillantes posés ici et là sur l'aluminium.

Et donc, je lisais, eau mise à bouillir et bougies remplacées, et je lisais encore.

Une nuit, un papillon vola droit sur la bougie, prit feu et resta là. Je devais regarder la bougie ou une ombre sur ma page me fit lever les yeux, en tous les cas, je vis tout. Une femelle dorée, grande, cinq centimètre d'envergure, atterrit sur la flamme, abaissa son abdomen dans la cire fondue, s'y prit, s'enflamma, s'embrasa et se consuma en une seconde.

Ses ailes prirent feu comme du papier, élargissant le cercle de lumière dans la clairière, faisant surgir de l'ombre les manches bleues de mon pull, les feuilles vertes des impatientes du Cap, le rouge déchiré d'un tronc de pin.

En un instant, la lumière se contracta de nouveau et les ailes du papillon s'évanouirent en une fine et malodorante fumée. En même temps, ses six pattes griffèrent l'air, s'enroulèrent, noircirent et disparurent complètement. Sa tête fut secouée de spasmes dans un bruit de friture ; ses antennes se convulsèrent et brûlèrent et ses mandibules craquèrent comme un coup de pistolet.
Quand tout fut fini, sa tête avait disparu tout comme ses pattes et ses ailes. (…)

C'est alors que cette essence de papillon, ce squelette spectaculaire, se transforma en mèche. Elle brûlait toujours. La cire s'éleva dans ce qui restait de son corps, de son abdomen jusqu'au trou déchiqueté qui avait été sa tête, et s'enflamma, une flamme jaune safran qui la revêtit entièrement comme un moine immolé par le feu. La bougie eut alors deux mèches, deux flammes de même hauteur, côte à côte. La tête du papillon était en feu. Elle brûla pendant deux heures, jusqu'à ce que je l'éteigne.

Elle brûla deux heures durant, sans changement, sans se courber ni se pencher – rougeoyant de l'intérieur, comme un incendie d'immeuble vu à travers des murs en silhouette, comme un saint creux, comme une vierge au visage enflammé s'élevant vers son dieu, tandis que je lisais à sa lumière, tandis que Rimbaud à Paris brûlait son cerveau en milliers de poèmes, tandis que la nuit se recueillait humide à mes pieds.
Carnet de toiles
Annie Dillard, Homy the Firm, 1977
(Traduction Catherine Brousse)

carnet de toiles
L'âme adore nager. Pour nager on s'étend sur le ventre. L'âme se déboîte et s'en va. Elle s'en va en nageant. (Si votre âme s'en va quand vous êtes debout, ou assis, ou les genoux ployés, ou les coudes, pour chaque position corporelle différente l'âme partira avec une démarche et une forme différentes c'est ce que j'établirai plus tard.)

On parle souvent de voler. Ce n'est pas ça. C'est nager qu'elle fait. Et elle nage comme les serpents et les anguilles, jamais autrement.

Quantité de personnes ont ainsi une âme qui adore nager. On les appelle vulgairement des paresseux. Quand l'âme quitte le corps par le ventre pour nager, il se produit une telle libération de je ne sais quoi, c'est un abandon, une jouissance, un relâchement si intime.

L'âme s'en va nager dans la cage de l'escalier ou dans la rue suivant la timidité ou l'audace de l'homme, car toujours elle garde un fil d'elle à lui, et si ce fil se rompait (il est parfois très ténu, mais c'est une force effroyable qu'il faudrait pour rompre le fil), ce serait terrible pour eux (pour elle et pour lui).

Quand donc elle se trouve occupée à nager au loin, par ce simple fil qui lie l'homme à l'âme s'écoulent des volumes et des volumes d'une sorte de matière spirituelle, comme de la boue, comme du mercure, ou comme un gaz - jouissance sans fin.
C'est pourquoi le paresseux est indécrottable. Il ne changera jamais. C'est pourquoi aussi la paresse est la mère de tous les vices. Car qu'est-ce qui est plus égoïste que la paresse ?

Elle a des fondements que l'orgueil n'a pas.

Mais les gens s'acharnent sur les paresseux.

Tandis qu'ils sont couchés, on les frappe, on leur jette de l'eau fraîche sur la tête, ils doivent vivement ramener leur âme. Ils vous regardent alors avec ce regard de haine, que l'on connaît bien, et qui se voit surtout chez les enfants.
Henri Michaux, « La paresse » Mes propriétés (1930),
dans la nuit remue (Poésie Gallimard, p. 110-111)